Desiderata
Il te rejoint sur les marches de l’église, quelques nuages sont venus
voiler le soleil de mai.
Je peux m’asseoir ? Il dit ça pour détendre l’atmosphère, peut-être.
Ou peut-être qu’il n’a juste pas compris que quelque chose avait fait un nœud,
un nœud maladroit d’écolier, un nœud difficile à défaire.
Il faudrait reprendre les bases, s’appliquer, faire comme les grands – mais
pourquoi diable faut-il faire comme les grands ? Pourquoi faudrait-il même
faire semblant de faire comme les grands ?
Masque de Méduse |
Je crois que ça a commencé sur l’Altiplano. Ce jour-là le temps s’est
incrusté en toi comme jamais. Tu voulais marcher, marcher encore et encore,
mais l’immensité t’ordonnait d’être un géant, alors tu t’es laissé porter par le
vent qui passait par là. Tu es devenu cette pierre, ce caillou silencieux
chargé de trop d’histoire. Le vent a continué à te faire rouler toujours plus vers
le Sud. Il s’est chargé de parler pour toi, gorge sèche et cage thoracique
devenues comme figées. Tu as roulé jusqu’aux rebords du monde, jusqu’à plus
soif, jusqu’à ce que la Terre elle-même vienne à disparaître dans les
quarantièmes rugissants, et d’un plongeon dans l’océan des cinquantièmes
hurlants. Quelque chose devait hurler pour toi, quelque chose devait émaner de
ton thorax pétrifié.
Tu es de ces hommes barrés de X, à la lisière du monde,
le Mexique était un
compromis impossible à accepter : tu veux t’étendre sans fin.
Ne jamais
t’éteindre,
au diable les glaciers
plus tu respires et plus tes poumons
se chargent d’un froid impossible à oublier, tes alvéoles glacées en porteront désormais
le témoignage éternel,
le ciel t’a regardé et en te regardant
il t’a pétrifié
au
moindre choc tu seras brisé en d’innombrables morceaux, impossibles à compter.
Une petite pluie de cailloux viendra lentement tomber
lentement sur le sol
comme une poussière de volcan
tephra,
lapilli,
cendres. Tu fertiliseras la
terre, tu marches à présent sur la prairie verte de ton enfance.
Ecoute ce
silence qui murmure dans tes yeux lavés d’encre
car les mots sont comme ces roches intrusives qui fardent le repos éternel
Et mon cul, cet incessant printemps fragile.